Hugues et Raoul
Esstrait de Et si la pluie s'appelait marcel…

Il était une fois un riche marchand d’ordures et sa femme qui avaient un fils nommé Akoto-Froto. Ce qui signifie « les eaux usées du bidon ». Or, son vrai nom c’était Jean-Luc.
Ça s’écrit J-e-a-n-l-u-c comme Jean-Luc, mais ça se prononce Norbert1 comme le chien de ma sœur.
C’est pourquoi ses parents qui hésitaient souvent entre deux l’avaient appelé, pour simplifier, Hugues et Raoul. Or, ignorant s’il s’agissait d’une fille ou un garçon, le père, pris entre l’orthodoxie et le droit des peuples, hésita longtemps entre un baptême et un méchoui. Il faut dire qu’en ce temps-là on baptisait rarement les filles.

Dégoûté par tant d’atermoiement, Hugues et Raoul se retira, en sa pleine fleur de l’âge, dans un endroit propice à la méditation pour y mener une vie pieuse et maïeutique à l’écart des regards contemplatifs. Or, comme il se faisait chier comme une feuille de papier à musique, il décida de prendre pour épouse la première venue. Ce fut plutôt la troisième, car la première n’est jamais passée par-là et la seconde avait un bec de lièvre.
Et il la coucha sur les gravats.

Ainsi, ce qui devait arriver arriva. Neuf mois plus tard, la troisième accoucha d’un fils en forme de baquet arrondi sur les angles et de deux filles pré-pubères aussi laides que bêtes qu’il ne tarda pas à échanger contre une caravane à un veuf en retraite et desséché pour se rendre non loin d’Hélouân où il trouva par hasard à l’occasion d’un pique-nique en solitaire une cuillère à fond de bois représentant le Nœud d’Isis qui était aussi en sa simplicité un pur Chef-d’Œuvre. Ce qu’il en fit n’est pas dit dans cette histoire.
Quant à sa femme, elle le quitta pour un sous-préfet d’arrondissement qui sut l’aimer pour elle-même et non pour la France qu'il trouvait pourtant si belle.

Le pauvre Hugues et Raoul jugea que c’en était trop pour un seul homme et retourna chez sa mère.
Son retour fut si soudain et si imprévisible que ses parents, le prenant pour un des personnages de la parabole de l’Évangile, le reçurent à coups de quolibets et de figues molles avant de rouler sous la table en pouffant comme des bulots2.

#— C’est moi, Norbert ! dit Hugues et Raoul. Votre fils Akoto-Froto.
Un silence neurasthénique s’abattit alors sur la pièce.
#— C’est à c’t’heure-ci que tu rentres, fulmina la mère, recouvrant ses esprits qu’elle avait en très petites quantités.
#— Va dans ta chambre ! ordonna aussitôt le père, toujours à plat dos dans la sciure.
Hugues et Raoul ne se fit pas prier et grimpa l’escalier sans regimber.
Pris de remords, le riche marchand d’ordures et sa femme se ravisèrent au dernier moment et dirent :
#— Hugues tu montes ! Toi Raoul, tu restes ici pour nettoyer ! Norbert te donnera un coup de main quand il aura fini de débarrasser.

Quant à Jean-Luc, on ignore ce qu’il est devenu. On pense qu’il termina ses jours éparpillé aux quatre vents dans la désolation et l'oubli.
Et on ne le revit jamais.

Moralité : La vraie solitude n’existe pas. Même seul il y a toujours quelqu’un de trop.

1. Ou le contraire, selon que l’on place l’accent tonique sur la désinence ou sur le radical.
2. Si ! si ! le bulot pouffe, c’est le bigorneau qui spume.

© Jean-Jacques Pleutre 1997
 

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