Les ébouriffeurs d'ours
Esstrait de Et si la pluie s'appelait marcel…
A 10 ans déjà il voulait être l'ami des bêtes. Aujourd'hui contre l'avis de tous, au mépris des dangers, il aura sacrifié sa vie et sa famille au péril de ses risques. Il n'aura vécu que pour sa passion. Ce soir, gros plan sur une profession sinistrée, une profession en crise… Les ébouriffeurs d'ours.

LE PRÉSENTATEUR, face à la caméra : Amis sanguinolants, bonsoir ! (Se tournant vers son invité.) Monsieur Sieux bonsoir.

MONSIEUR SIEUX : Bonsoir.

LE PRÉSENTATEUR : d'abord parlez-nous de ces effroyables cicatrices qui vous lacèrent le visage de part en part.

MONSIEUR SIEUX : Oh ça ! Ce n'est rien, c'est en me rasant ce matin. J'ai la eu la main un peu leste.

LE PRÉSENTATEUR : C'est pourtant très dangereux d'ébouriffer les ours ?

MONSIEUR SIEUX : Il y a de moins en moins d'ours sauvages en liberté par les temps qui courent. De plus, nous sommes en pleine période d'hibernation.

LE PRÉSENTATEUR : Oui, mais on dit qu'il y a un certain mal de vivre dans votre profession ?

MONSIEUR SIEUX : C'est une profession qui n'est absolument pas protégée.

LE PRÉSENTATEUR, sûr de lui : En effet, vous êtes des centaines chaque jour à périr déchiquetés sur votre lieu de travail ?

MONSIEUR SIEUX : Non pas du tout ! Ce sont les aides de l'état qui restent insuffisantes. Nous n'avons aucune protection sociale.

LE PRÉSENTATEUR : Mais beaucoup d'entre vous sont quand même à l'hôpital dans un état grave ? L'ours sauvage n'est pas un plaisantin.

MONSIEUR SIEUX : Mais non !

LE PRÉSENTATEUR : … Ou gisent encore dans leur propre sang, perdus en pleine nature, éparpillés dans les fourrés, au fond des ornières ?

MONSIEUR SIEUX : Pas du tout ! La plupart se sont recyclés, ou sont déjà partis en pré-retraite.

LE PRÉSENTATEUR : Vous êtes pourtant un des derniers représentant de la profession encore vivant ?

MONSIEUR SIEUX : C'est un métier qui se perd. Il faudrait former des jeunes.

LE PRÉSENTATEUR : Mais alors qu'attendez-vous de cette grève ?

MONSIEUR SIEUX : Avant tout nous luttons pour la sécurité de l'emploi.

LE PRÉSENTATEUR : En effet, les gros grizzlis sauvages ne sont pas toujours très joueurs.

MONSIEUR SIEUX : La question n'est pas là. L'hiver nous n'avons même pas droit au chômage technique.

LE PRÉSENTATEUR : Oui mais au réveil ils peuvent vous éventrer un homme en moins de deux ?

MONSIEUR SIEUX : Je vous parle de nos revendications sociales, de droit du travail, de chômage technique, de retraite des cadres…

LE PRÉSENTATEUR : Tout à fait monsieur Sieux, mais vous risquez quand même votre vie tous les jours ?

MONSIEUR SIEUX : Pas du tout ! Moi je suis au service contentieux. Au départ j'avais une formation de comptable, alors je me suis dit pourquoi pas, ça peut toujours servir. Et j'ai foncé.

LE PRÉSENTATEUR, déçu : Ah !… Bon eh bien, c'est ça… au revoir monsieur Sieux… (Se tournant vers la caméra:) La semaine prochaine nous…

MONSIEUR BOVRIL : Quand on pense que nous n'avons même pas droit à la retraite.

LE PRÉSENTATEUR, poliment : Bien sûr ! Au revoir monsieur Sieux. (Au téléspectateur :) La semaine prochaine nous nous pen…

MONSIEUR SIEUX, avec insistance : Ni au treizième mois.

LE PRÉSENTATEUR : Merci monsieur Sieux. (Face caméra :) Nous nous pencherons…

MONSIEUR SIEUX : Et…

LE PRÉSENTATEUR : Barre-toi Sieux ! C'est pas un reportage pour mauviette ici.

MONSIEUR SIEUX : Mais ?…

Deux gros types évacuent monsieur Sieux hors du studio.

LE PRÉSENTATEUR, face à la caméra : La semaine prochaine nous nous pencherons sur une autre profession en crise : les insulteurs de chiens, une profession particulièrement sinistrée. Bonsoir à tous ! Et maintenant la suite de nos programmes.

© Jean-Jacques Pleutre 1997
 

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