Et si la pluie s'appelait Marcel…
Une drôle d'affaire en somme

en bas dirèque
De Jean-Jacques Pleutre
(Esstraits)

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Le poisson-chat

On dit que le poisson-chat n’aime pas l’eau. C’est faux ! Le poisson-chat aime l’eau. Mais en revanche non. En vérité, il aime les deux, mais il ne sait jamais par où commencer.
Dans l’eau, il suffoque rapidement et se noie une fois sur deux. Dans l’air, il étouffe littéralement et ne survit jamais très longtemps. Dans le feu, n’en parlons pas. Sous terre non plus. Et comme le poisson-chat ne peut vivre à la fois dans l’eau et dans l’air, il est obligé, pour s’en tirer, de passer sa vie entre les deux sans jamais réussir à se décider vraiment. Et il meurt.

Une drôle d'affaire en somme.

 
La girafe

Bien que le fait soit assez rare, il arrive parfois qu'un troupeau de girafes ne comporte qu’une seule girafe.
L'animal, plus petit, moins robuste et surtout moins nombreux que les autres, est accablé d'un long cou et d’une mauvaise vue. C'est un handicap dangereux dans un milieu où abondent prédateurs et concurrence.
C'est pourquoi les autres girafes du troupeau la protègent de leur mieux.

Une drôle d'affaire en somme.

Le Bulot

De même que chez l’agent de change à la saison fraîche, le corps du bulot est recouvert d’un manteau, dont le rôle principal est de le protéger des courants d’air. Et des regards pudibonds. A marée basse, comme dans les milieux bancaires, la nudité n’est pas tolérée. Elle est souvent mal perçue et on s’expose aux foudres de son chef de bureau. C’est pourquoi le bulot préfère rester couvert. C’est un mollusque prudent et avisé.
Mais on aurait tort de fier aux apparences.

C’est un redoutable carnassier qui dévore tout sur son passage. Contrairement à la plupart des gastéropodes qui laissent leurs rivaux malheureux battre en retraite à la fin du combat, le bulot est sans pitié. Il poursuit inlassablement son adversaire, l’autre bulot scellé à son rocher, ne lui offrant aucun répit. Il ne le lâche plus d’une semelle et s’acharne ainsi sur son avenir jusqu’à ce que mort s’en suive.

Pour comprendre la férocité du terrible bulot, il faut avoir connu la fièvre obsessionnelle des places financières et des marchés à terme. Savamment appelé buccin, le bulot est en réalité une ordure de la pire espèce. Un fumier sans nom.
Ses mœurs sexuelles abominables le classe parmi les mollusques les plus libidineux des côtes de l’Atlantique.
C’est un être abject et dissolu qui n’hésite pas à abuser de ses victimes après les avoir sauvagement déchiqueter et vider de leurs entrailles. Il est pire que le bigorneau qui spume effrontément sitôt qu’il aperçoit une littorine en goguette. Le bulot est d’une jalousie excessive et ne posséde aucune moralité. A la saison des amours on le soupçonne même de copuler avec l’ennemi afin de satisfaire, entre deux assauts, son penchant pour le stupre et la fornication. Avant de le piétiner sous la botte avec rage et acharnement.

Or, comme il n’a pas la tenacité du bœuf musqué, l’agileté du kinkajou d’Amérique, la férocité du loup des steppes, l’audace du mouflon ardent, les griffes acérées du chef de bureau, ni la voracité de la larve de coccinelle qui boufferait même sa mère entre les repas, le bulot s’essouffle rapidement et clabote sur place avant même le début des hostilités. Le malheureux rival est ainsi condamné à périr d’accablement au creux de sa coquille endémique, sous les regards flapis de ses semblables.

Une drôle d'affaire en somme.
 
Le maquereau vin blanc

Le maquereau vin blanc n’est pas seulement un poisson de grande conserverie qui baigne à longueur d’année dans le vieux vin en attendant d’être dévoré aux petits oignons.
C’est surtout un jeu de société très prisé dans les milieux oisifs et décadents. Dans les environs de Versailles par exemple, on ne dit pas :
« Vous reprendrez bien un peu de maquereaux vin blanc. », mais : « Si on se refaisait une partie de maquereaux vin blanc. ».
On n’en mange jamais.
C’est un jeu qui se joue à deux, à quatre ou à plusse. Au restaurant de préférence. En simple, les deux commenceaux, en habits, se tiennent face à face et se jettent, à tour de rôle, les maquereaux imbibés d'huile grasse en riant comme des ânes. En mixte, les femmes poussent de petits cris stridents et surfaits de satisfaction entre chaque échange. Quand on a fini son assiette, on ramasse et on recommence.
Le serveur, dédaigneux, compte les points en disant de temps en temps
« Six-deux, changement ! », mais c’est seulement pour faire plaisir ou pour meubler, étant donné que la partie se termine le plus souvent par un match nul. À cinquante centimètres l’un de l’autre, à moins d’avoir un mérou dans l’œil, il est pratiquement impossible de rater son adversaire.
Le gagnant est donc celui qui n’y joue pas et il a bien raison, car le maquereau vin blanc est un vrai jeu de cons qui gâche de la nourriture et salit les habits.
Et comme chacun sait, on ne plaisante pas avec la nourriture, c’est un aliment qui se mange.

Une drôle d'affaire en somme.

Le chat egyptien

Né de profil, le chat égyptien va droit devant lui sans jamais se retourner.
Il ne connait qu’une seule direction : le plus loin possible.
Malheureusement il n’est pas rare qu’il n’y arrive jamais. Sa vie est de trop courte durée. En gros, elle va d’un bout de la pièce à l’autre.
Ainsi, arrivé au pied du mur d’en face, qui représente en général le terme d’une existence, équilibrée et bien remplie, le chat égyptien est incapable de faire demi-tour. Même quand son maître l’appelle pour sa pâtée. Il tombe alors sur le flanc avec un bruit sec et métallique. Incapable de se relever, il meurt aussitôt en tourbillonnant sur lui-même comme une fine plaque de tôle emboutie… tôle emboutie… tôle emboutie…

Une drôle d'affaire en somme.

L'étincelle

Il ya bien longtemps, quand les soucis des hommes se confondaient encore avec le vol incessant des insectes ailés dans le poudroiement vermeil des soirs d’été, un souffle léger déposa une Pensée sur le lac initial. L’Esprit flottait au-dessus des eaux. Les songes somnolaient sur les flots verts et limpides où ondoyaient les reflets moirés des pivoines crépusculaires.
Tout était calme.
L’Esprit s’emmerdait comme un dimanche.
La Pensée aussi.
Rien ne se passait.
Ils attendaient l’étincelle. L’étincelle qui viendrait peut-être un jour mettre le feu au lac.
Un temps passa… puis un autre… et encore un autre qui dura 700 millions d'années terrestre… La Pensée finit par s’impatienter et dit :
#— Bon ! c’est pas tout ça, mais quelle heure est-il ?
#— Je ne sais pas, répondit calmement l’Esprit qui l’avait assurément ailleurs.
#— Comment ça, vous n’avez pas l’heure ?
#— Pourquoi faire ?… ça change tout le temps.

 
 

Une animation avec un oiseau
  Choses importantes

Le plus court chemin d’un point à un autre est de ne pas y aller.
Savez-vous comment la cisticole couturière d’australie boutonne les feuilles à l’extérieur de son nid ? Et de quelle façon la maman pronghorn dissimule ses petits à l’approche du méchant renard ?
Non…
Eh bien nous non plus !
Habiter loin c’est déjà chiant, mais en plus s’il pleut.
La fin du monde est toujours prévue fin mars début janvier.
Et un jour quelqu'un a éteint la pluie…
 

La gazelle

Connaissez-vous l’origine du mot gazelle ? Gracieuse et sautillante gazelle… Mais pourquoi pas léprechaune, korrigan ou égréguièste me direz-vous ?
À cette époque reculée où l’homme savait à peine faire la différence entre une tâche, un vol d’oiseau, un groupe de plus de deux personnes, un léopard ou la variole, nommer les choses les plus simples tenait davantage de la gageure et du hasard que du bon usage. Une chaise pouvait signifier un banc, un tas de bois ou un époux fidèle. Ou le contraire selon qui avait parlé le dernier. Ainsi, gazelle, gnou, gnome, greffier, grabataire, c’était souvent du pareil au même.
Seules les formes et le goût changeaient.
Or, un jour que deux bédoins peinaient à travers l’immensité brûlante et les steppes arides, un troupeau vint à passer.
Au loin.
« Stump !… Stump !… Stump !… », fit le troupeau bondissant, s’éloignant par-delà les dunes.
Le premier bédoin dit alors au second :
#— Comme c’est curieux !…
#— Quoi donc ? fit le second.
#— Elles bondissent comme des gazelles.
Et depuis c’est resté.1

Une drôle d'affaire en somme.

1. On peut le faire avec antilope, ça marche aussi.

 


 

Météo

Une très belle femme présente la météo avec son joli pied bien fait au lieu de sa main. Mouvement de sa jambe finement gainée de soie ambrée sur l’hexagone… quelques mignonnes petites circonvolutions de sa cheville sur les cumulos- nimbus… tension du coup de pied sur la Haute- Marne… effleurement des orteils sur les températures… réajustement délicieux de son bas sur l'anticyclone des Açores…
Et il fait tout de suite plus beau.

Une drôle d'affaire en somme.

 
Figure 7

Il fera doux et soyeux là, là et là.

Après la pluie

le beau-frère.

© Jean-Jacques Pleutre 1989

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