Le
poisson-chat
On
dit que le poisson-chat naime pas leau.
Cest faux ! Le poisson-chat aime leau. Mais
en revanche non. En vérité, il aime les
deux, mais il ne sait jamais par où commencer.
Dans leau, il suffoque rapidement et se noie une
fois sur deux. Dans lair, il étouffe littéralement
et ne survit jamais très longtemps. Dans le feu,
nen parlons pas. Sous terre non plus. Et comme
le poisson-chat ne peut vivre à la fois dans
leau et dans lair, il est obligé,
pour sen tirer, de passer sa vie entre les deux
sans jamais réussir à se décider
vraiment. Et il meurt.
Une drôle
d'affaire en somme. |
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La
girafe
Bien
que le fait soit assez rare, il arrive parfois qu'un troupeau
de girafes ne comporte quune seule girafe.
L'animal, plus petit, moins robuste et surtout moins nombreux
que les autres, est accablé d'un long cou et dune
mauvaise vue. C'est un handicap dangereux dans un milieu où
abondent prédateurs et concurrence.
C'est pourquoi les autres girafes du troupeau la protègent
de leur mieux.
Une drôle
d'affaire en somme. |
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Le
Bulot
De
même que chez lagent de change à la saison
fraîche, le corps du bulot est recouvert dun
manteau, dont le rôle principal est de le protéger
des courants dair. Et des regards pudibonds. A marée
basse, comme dans les milieux bancaires, la nudité
nest pas tolérée. Elle est souvent mal
perçue et on sexpose aux foudres de son chef
de bureau. Cest pourquoi le bulot préfère
rester couvert. Cest un mollusque prudent et avisé.
Mais on aurait tort de fier aux apparences.
Cest
un redoutable carnassier qui dévore tout sur son
passage. Contrairement à la plupart des gastéropodes
qui laissent leurs rivaux malheureux battre en retraite
à la fin du combat, le bulot est sans pitié.
Il poursuit inlassablement son adversaire, lautre
bulot scellé à son rocher, ne lui offrant
aucun répit. Il ne le lâche plus dune
semelle et sacharne ainsi sur son avenir jusquà
ce que mort sen suive.
Pour
comprendre la férocité du terrible bulot, il
faut avoir connu la fièvre obsessionnelle des places
financières et des marchés à terme. Savamment
appelé buccin, le bulot est en réalité
une ordure de la pire espèce. Un fumier sans nom.
Ses murs sexuelles abominables le classe parmi les mollusques
les plus libidineux des côtes de lAtlantique.
Cest un être abject et dissolu qui nhésite
pas à abuser de ses victimes après les avoir
sauvagement déchiqueter et vider de leurs entrailles.
Il est pire que le bigorneau qui spume effrontément
sitôt quil aperçoit une littorine en goguette.
Le bulot est dune jalousie excessive et ne posséde
aucune moralité. A la saison des amours on le soupçonne
même de copuler avec lennemi afin de satisfaire,
entre deux assauts, son penchant pour le stupre et la fornication.
Avant de le piétiner sous la botte avec rage et acharnement.
Or,
comme il na pas la tenacité du buf musqué,
lagileté du kinkajou dAmérique,
la férocité du loup des steppes, laudace
du mouflon ardent, les griffes acérées du chef
de bureau, ni la voracité de la larve de coccinelle
qui boufferait même sa mère entre les repas,
le bulot sessouffle rapidement et clabote sur place
avant même le début des hostilités. Le
malheureux rival est ainsi condamné à périr
daccablement au creux de sa coquille endémique,
sous les regards flapis de ses semblables.
Une drôle
d'affaire en somme. |
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Le
maquereau vin blanc
Le
maquereau vin blanc nest pas seulement un poisson de
grande conserverie qui baigne à longueur dannée
dans le vieux vin en attendant dêtre dévoré
aux petits oignons.
Cest surtout un jeu de société très
prisé dans les milieux oisifs et décadents.
Dans les environs de Versailles par exemple, on ne dit pas
:
« Vous reprendrez bien un peu de maquereaux vin blanc.
», mais : « Si on se refaisait une partie de maquereaux
vin blanc. ».
On nen mange jamais.
Cest un jeu qui se joue à deux, à quatre
ou à plusse. Au restaurant de préférence.
En simple, les deux commenceaux, en habits, se tiennent face
à face et se jettent, à tour de rôle,
les maquereaux imbibés d'huile grasse en riant comme
des ânes. En mixte, les femmes poussent de petits cris
stridents et surfaits de satisfaction entre chaque échange.
Quand on a fini son assiette, on ramasse et on recommence.
Le serveur, dédaigneux, compte les points en disant
de temps en temps
« Six-deux, changement ! », mais cest seulement
pour faire plaisir ou pour meubler, étant donné
que la partie se termine le plus souvent par un match nul.
À cinquante centimètres lun de lautre,
à moins davoir un mérou dans lil,
il est pratiquement impossible de rater son adversaire.
Le gagnant est donc celui qui ny joue pas et il a bien
raison, car le maquereau vin blanc est un vrai jeu de cons
qui gâche de la nourriture et salit les habits.
Et comme chacun sait, on ne plaisante pas avec la nourriture,
cest un aliment qui se mange.
Une drôle d'affaire en somme. |
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Né
de profil, le chat égyptien va droit devant lui sans
jamais se retourner.
Il ne connait quune seule direction : le plus loin
possible.
Malheureusement il nest pas rare quil ny
arrive jamais. Sa vie est de trop courte durée. En
gros, elle va dun bout de la pièce à
lautre.
Ainsi, arrivé au pied du mur den face, qui
représente en général le terme dune
existence, équilibrée et bien remplie, le
chat égyptien est incapable de faire demi-tour. Même
quand son maître lappelle pour sa pâtée.
Il tombe alors sur le flanc avec un bruit sec et métallique.
Incapable de se relever, il meurt aussitôt en tourbillonnant
sur lui-même comme une fine plaque de tôle emboutie
tôle emboutie
tôle emboutie
Une
drôle d'affaire en somme.
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L'étincelle
Il
ya bien longtemps, quand les soucis des hommes se confondaient
encore avec le vol incessant des insectes ailés dans
le poudroiement vermeil des soirs dété,
un souffle léger déposa une Pensée sur
le lac initial. LEsprit flottait au-dessus des eaux.
Les songes somnolaient sur les flots verts et limpides où
ondoyaient les reflets moirés des pivoines crépusculaires.
Tout était calme.
LEsprit semmerdait comme un dimanche.
La Pensée aussi.
Rien ne se passait.
Ils attendaient létincelle. Létincelle
qui viendrait peut-être un jour mettre le feu au lac.
Un temps passa
puis un autre
et encore un autre
qui dura 700 millions d'années terrestre
La Pensée
finit par simpatienter et dit :
# Bon ! cest pas
tout ça, mais quelle heure est-il ?
# Je ne sais pas, répondit
calmement lEsprit qui lavait assurément
ailleurs.
# Comment ça, vous
navez pas lheure ?
# Pourquoi faire ?
ça change tout le temps. |
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Choses
importantes |
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Le
plus court chemin dun point à un autre est de ne
pas y aller. |
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Savez-vous
comment la cisticole couturière daustralie boutonne
les feuilles à lextérieur de son nid ? Et
de quelle façon la maman pronghorn dissimule ses petits
à lapproche du méchant renard ?
Non
Eh bien nous non plus ! |
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Habiter
loin cest déjà chiant, mais en plus sil
pleut. |
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La
fin du monde est toujours prévue fin mars début
janvier. |
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Et
un jour quelqu'un a éteint la pluie
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La
gazelle
Connaissez-vous
lorigine du mot gazelle ? Gracieuse et sautillante gazelle
Mais pourquoi pas léprechaune, korrigan ou égréguièste
me direz-vous ?
À cette époque reculée où lhomme
savait à peine faire la différence entre une
tâche, un vol doiseau, un groupe de plus de deux
personnes, un léopard ou la variole, nommer les choses
les plus simples tenait davantage de la gageure et du hasard
que du bon usage. Une chaise pouvait signifier un banc, un
tas de bois ou un époux fidèle. Ou le contraire
selon qui avait parlé le dernier. Ainsi, gazelle, gnou,
gnome, greffier, grabataire, cétait souvent du
pareil au même.
Seules les formes et le goût changeaient.
Or, un jour que deux bédoins peinaient à travers
limmensité brûlante et les steppes arides,
un troupeau vint à passer.
Au loin.
« Stump !
Stump !
Stump !
»,
fit le troupeau bondissant, séloignant par-delà
les dunes.
Le premier bédoin dit alors au second :
# Comme cest curieux
!
# Quoi donc ? fit le second.
# Elles bondissent comme
des gazelles.
Et depuis cest resté.1
Une
drôle d'affaire en somme.
1.
On peut le faire avec antilope, ça marche aussi. |
Météo
Une
très belle femme présente la météo
avec son joli pied bien fait au lieu de sa main. Mouvement
de sa jambe finement gainée de soie ambrée
sur lhexagone
quelques mignonnes petites
circonvolutions de sa cheville sur les cumulos- nimbus
tension du coup de pied sur la Haute- Marne
effleurement
des orteils sur les températures
réajustement
délicieux de son bas sur l'anticyclone des Açores
Et il fait tout de suite plus beau.
Une drôle
d'affaire en somme. |
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Figure
7 |
Il
fera doux et soyeux là, là et là. |
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Après
la pluie
…le
beau-frère. |
©
Jean-Jacques Pleutre 1989
Textes
disponibles
aux éditions |
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