Une
minute à la cuisine
Comme
un tremblement intempestif, un bruit sourd et régulier
remontant de la cuisine sengouffra dans le salon.
# Baisse un peu chérie
! On ne sentend plus, cria monsieur qui avait bien de
la peine à rester concentré sur ses mots-croisés.
Or, le bruit sintensifia et couvrit la réponse
de madame.
Excédé, monsieur posa son journal et se lèva
en bougonnant.
Arrivé dans la cuisine, il trouva sa femme au milieu
dune tribu de primitifs surexcités en train de
piétiner sauvagement le repas du soir entièrement
répandu sur le carrelage.
#« Houba-gombo ! disait
lun. Pil-le-mil ! faisait lautre. Hong-guéné-gwané
! chantait un troisième. Yast-Olfit ! », reprenèrent
en cur les douze autres sautillant de plus belle
Madame prit un air navrée et dit :
# Je sais, il faudrait
vraiment quon se décide à prendre un robot
électrique1.
Une drôle d'affaire en
somme.
Houba-gombo
! |
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1.
Surtout qu'on en fait des tout-petits cette année. |
Le
pavé
Le
pavé dormait profondément quand un joli pied
de femme finement gainé de soie ambrée (15 deniers)
lui caressa léchine.
Leffleurement de son bas le long de sa colonne vertébrale
le tira progressivement de son sommeil. Le bout du pied gracile
lui frôla ensuite délicatement le bas des reins.
Putain de gravillons ! maugréa soudain la jeune
femme, lui vidant le contenu de son soulier sur le haut du
crâne.
Le pavé tenta de se
retourner, mais en vain. Il eut beau forcer sa nature, il
demeurait plaqué face contre terre comme un seul homme.
Il ne put goûter au spectacle envoûtant quoffrait
la jeune créature en équilibre sur une jambe,
son pied soyeux flottant au-dessus de sa nuque engourdie.
Immobile au milieu de la chaussée, Le pavé mordait
la poussière de plus belle.
La jeune femme réajusta
lextrémité de son bas autour de ses ravissants
petits orteils étincelants avant de rechausser son
escarpin. Elle tira ensuite sur sa jupe et disparut dans la
lumière glacée du petit matin dun pas
léger et sautillant.
On sait que les pavés ne connaîtront jamais les
plaisirs secrets des hommes, mais on pense désormais
quils ont tort de sobstiner à dormir sur
le ventre.
Une drôle d'affaire en somme. |

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Le
7 nains va rentrer 7 fois du boulot avant de s'en retourner
au fond des bois où le sort lui échoira à
nouveau 7 fois.
Rappeler
le nain
(ça ne marche jamais)
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Le
coq-à-l'âne
On
peut dire, sans exagérer, que le coq-à-lâne
est un gros ongulé de sa mère, et de la famille
des gallinacés du côté de son père.
Plus bête quun dindon, plus têtu quune
mule, plus inconsistant que mon beau-frère, le coq-à-lâne
est incapable de tenir en place. Il est à la fois partout
et nulle part en même temps sans jamais savoir où
il se trouve exactement.
Cest un être dégénéré,
inconséquent et vide. Tantôt il vous picore le
haut du crâne en piaillant, tantôt il vous rue
dans le train et senfuit en braillant on ne sait-z-où.
Il na pas fini de hurler à la cantonade quil
sen va aussitôt braire aux quatre vents et revient
en becquetant de-ci, de-là comme si de rien nétait.
Puis il oublie. Et ainsi de suite jusquà ce quil
tombe épuisé là où la nuit le
surprend.
Bref ! il nest jamais là où on lattend.
Il ne sait jamais sil est là ou ailleurs, ici
ou à la porte Champerret ; sil est lui-même,
un autre ou son cousin.
Un drôle d'ongulé
ce gallinacé en somme. |
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La
caille des sables parcourt le rivage en tout sens, poussant
et retournant, ça et là, pierres et coquillages
avec son bec si particulier. Comme par jeu.
En fait, il n'en est rien.
La pauvre caille des sables est pourvue de grosses couilles
qui l'empêchent de voler. Elle est obligée, pour
se déplacer sans perdre l'équilibre, de pencher
considérablement la tête en avant, entraînant
ainsi tout sur son passage.
On appelle aussi cet oiseau : les burnes des sables.
Une drôle d'affaire
en somme. |
La
vieille fillette
Il
était une fois une femme de 42 ans qui venait tout
juste davoir 47 ans.
Cest-à-dire quelle aurait pu les avoir
si elle avait eu la patience dattendre encore 35 ans.
Or, quand on nest quune fillette de 12 ans, empressée
et capricieuse, on veut tout tout de suite ou jamais.
Ainsi, un jour quelle
se rendait chez le boucher avec son petit panier, ses petites
soquettes et ses petites économies, elle réclama
sitôt arrivé dans la boutique :
# Je voudrais cette belle
côtelette et ce bout de gras pour mon chat.
Le boucher, qui malgré
une forte tête denclume avinée était
un homme bon et tolérant, répondit :
# Mais certainement ma
petite dame. Et avec ceci ?
# Avec ceci rien.
# Comme elle voudra.
Et le boucher emballa la côtelette
et le bout de gras.
# Je vous paierai demain
ou un autre jour, ajouta la petite dame.
# Désolé
! Mais la maison ne fait plus crédit.
À ces mots, le sang
de la fillette ne fit quun tour. De rage, elle se roula
dans la sciure et poussa des petits cris stridents. Elle n'eut
de cesse jusquà ce que le bon boucher, qui était
aussi fin psychologue, vienne lui fendre le crâne avec
son hachoir pour lui apprendre à vivre. Ainsi que les
dures lois du commerce.
Cest ainsi que,
malgré le temps que nefface pas forcément
le nombre des années, elle natteignit jamais
lâge adulte. Et ce nest pas un hasard si
aujourdhui on peut encore lire sur sa tombe cet épitaphe
humide :

«
Ci-gît une adolescente de 12 ans
décédée à lâge de
47 ans. »
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Une
drôle d'affaire en somme.
Le
7 nains
Le
cinquante-septième fragment dEmpédocle
dAgrigente rapporte dans sa cosmogonie de la Nature
que naquirent des êtres aux pieds tournés pourvus
dinnombrables mains. Il parle également dun
grand nombre de têtes sans cou, de cous sans long, de
cheveux penchés démesurément, de bras
isolés privés dépaules et dyeux
que nenrichissent aucun front. Toute une panoplie dêtres
éclatés et difformes qui étaient sensés
peupler la terre avant lapparition du premier homme.
Mais nulle part on ne trouve trace du sept-nains, ce nabot
versatile et solitaire.
Pourtant, il ne répugne pas, de temps à autre,
à fréquenter la compagnie des hommes. Surtout
avec les femmes. Mais en vérité, il est plutôt
lâche pour un sept-nains et préfère se
montrer peu ou séparpiller dans la forêt
à labris des regards indiscrets.
De plus, ce brave jean-fesse est sept fois plus petit que
ses semblables. Il est si petit quil touche à
peine le sol. Aussi, à chaque fois quil rentre
du boulot, il se marche dessus et, le plus souvent, il meurt.
Cest pourquoi on nen voit jamais.
Indescriptible sept nains
et bougre dEmpédocle en somme ! |
«
Tant va la vache à lait quà la fin Creutzfeld-Jacob
» |
Fait
divers
Des
vaches folles tapies dans les pruniers se seraient subitement
jetées sur des femmes de fermiers venues ramasser les
prunes dans les prés quelques mètres plus bas.
Les pauvres seraient mortes sur le coup, les reins brisés,
sous les éclats de rire méphistophéliques
des quelques vaches restées à laffût
dans les branchages.
Une drôle d'affaire
en somme. |

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