Et si la pluie s'appelait Marcel…
Une drôle d'affaire en somme

en bas dirèque
De Jean-Jacques Pleutre
(Esstraits)

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Une minute à la cuisine

Comme un tremblement intempestif, un bruit sourd et régulier remontant de la cuisine s’engouffra dans le salon.
#— Baisse un peu chérie ! On ne s’entend plus, cria monsieur qui avait bien de la peine à rester concentré sur ses mots-croisés.
Or, le bruit s’intensifia et couvrit la réponse de madame.
Excédé, monsieur posa son journal et se lèva en bougonnant.
Arrivé dans la cuisine, il trouva sa femme au milieu d’une tribu de primitifs surexcités en train de piétiner sauvagement le repas du soir entièrement répandu sur le carrelage.
#« Houba-gombo ! disait l’un. Pil-le-mil ! faisait l’autre. Hong-guéné-gwané ! chantait un troisième. Yast-Olfit ! », reprenèrent en cœur les douze autres sautillant de plus belle…
Madame prit un air navrée et dit :
#— Je sais, il faudrait vraiment qu’on se décide à prendre un robot électrique1.

Une drôle d'affaire en somme.

Houba-gombo !

1. Surtout qu'on en fait des tout-petits cette année.

 

Le pavé

Le pavé dormait profondément quand un joli pied de femme finement gainé de soie ambrée (15 deniers) lui caressa l’échine.
L’effleurement de son bas le long de sa colonne vertébrale le tira progressivement de son sommeil. Le bout du pied gracile lui frôla ensuite délicatement le bas des reins.
— Putain de gravillons ! maugréa soudain la jeune femme, lui vidant le contenu de son soulier sur le haut du crâne.

Le pavé tenta de se retourner, mais en vain. Il eut beau forcer sa nature, il demeurait plaqué face contre terre comme un seul homme. Il ne put goûter au spectacle envoûtant qu’offrait la jeune créature en équilibre sur une jambe, son pied soyeux flottant au-dessus de sa nuque engourdie.
Immobile au milieu de la chaussée, Le pavé mordait la poussière de plus belle.

La jeune femme réajusta l’extrémité de son bas autour de ses ravissants petits orteils étincelants avant de rechausser son escarpin. Elle tira ensuite sur sa jupe et disparut dans la lumière glacée du petit matin d’un pas léger et sautillant.
On sait que les pavés ne connaîtront jamais les plaisirs secrets des hommes, mais on pense désormais qu’ils ont tort de s’obstiner à dormir sur le ventre.

Une drôle d'affaire en somme.

 

Le 7 nains va rentrer 7 fois du boulot avant de s'en retourner au fond des bois où le sort lui échoira à nouveau 7 fois.

Rappeler le nain
(ça ne marche jamais)


@
Le coq-à-l'âne

On peut dire, sans exagérer, que le coq-à-l’âne est un gros ongulé de sa mère, et de la famille des gallinacés du côté de son père.
Plus bête qu’un dindon, plus têtu qu’une mule, plus inconsistant que mon beau-frère, le coq-à-l’âne est incapable de tenir en place. Il est à la fois partout et nulle part en même temps sans jamais savoir où il se trouve exactement.
C’est un être dégénéré, inconséquent et vide. Tantôt il vous picore le haut du crâne en piaillant, tantôt il vous rue dans le train et s’enfuit en braillant on ne sait-z-où. Il n’a pas fini de hurler à la cantonade qu’il s’en va aussitôt braire aux quatre vents et revient en becquetant de-ci, de-là comme si de rien n’était. Puis il oublie. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il tombe épuisé là où la nuit le surprend.
Bref  ! il n’est jamais là où on l’attend. Il ne sait jamais s’il est là ou ailleurs, ici ou à la porte Champerret ; s’il est lui-même, un autre ou son cousin.

Un drôle d'ongulé ce gallinacé en somme.

La caille des sables

La caille des sables parcourt le rivage en tout sens, poussant et retournant, ça et là, pierres et coquillages avec son bec si particulier. Comme par jeu.
En fait, il n'en est rien.
La pauvre caille des sables est pourvue de grosses couilles qui l'empêchent de voler. Elle est obligée, pour se déplacer sans perdre l'équilibre, de pencher considérablement la tête en avant, entraînant ainsi tout sur son passage.
On appelle aussi cet oiseau : les burnes des sables.

Une drôle d'affaire en somme.

 

La vieille fillette

Il était une fois une femme de 42 ans qui venait tout juste d’avoir 47 ans.
C’est-à-dire qu’elle aurait pu les avoir si elle avait eu la patience d’attendre encore 35 ans. Or, quand on n’est qu’une fillette de 12 ans, empressée et capricieuse, on veut tout tout de suite ou jamais.

Ainsi, un jour qu’elle se rendait chez le boucher avec son petit panier, ses petites soquettes et ses petites économies, elle réclama sitôt arrivé dans la boutique :
#— Je voudrais cette belle côtelette et ce bout de gras pour mon chat.

Le boucher, qui malgré une forte tête d’enclume avinée était un homme bon et tolérant, répondit :
#— Mais certainement ma petite dame. Et avec ceci ?
#— Avec ceci rien.
#— Comme elle voudra.

Et le boucher emballa la côtelette et le bout de gras.
#— Je vous paierai demain ou un autre jour, ajouta la petite dame.
#— Désolé ! Mais la maison ne fait plus crédit.

À ces mots, le sang de la fillette ne fit qu’un tour. De rage, elle se roula dans la sciure et poussa des petits cris stridents. Elle n'eut de cesse jusqu’à ce que le bon boucher, qui était aussi fin psychologue, vienne lui fendre le crâne avec son hachoir pour lui apprendre à vivre. Ainsi que les dures lois du commerce.

C’est ainsi que, malgré le temps que n’efface pas forcément le nombre des années, elle n’atteignit jamais l’âge adulte. Et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui on peut encore lire sur sa tombe cet épitaphe humide :


« Ci-gît une adolescente de 12 ans
décédée à l’âge de 47 ans. »

Une drôle d'affaire en somme.
 

Le 7 nains

Le cinquante-septième fragment d’Empédocle d’Agrigente rapporte dans sa cosmogonie de la Nature que naquirent des êtres aux pieds tournés pourvus d’innombrables mains. Il parle également d’un grand nombre de têtes sans cou, de cous sans long, de cheveux penchés démesurément, de bras isolés privés d’épaules et d’yeux que n’enrichissent aucun front. Toute une panoplie d’êtres éclatés et difformes qui étaient sensés peupler la terre avant l’apparition du premier homme.
Mais nulle part on ne trouve trace du sept-nains, ce nabot versatile et solitaire.
Pourtant, il ne répugne pas, de temps à autre, à fréquenter la compagnie des hommes. Surtout avec les femmes. Mais en vérité, il est plutôt lâche pour un sept-nains et préfère se montrer peu ou s’éparpiller dans la forêt à l’abris des regards indiscrets.
De plus, ce brave jean-fesse est sept fois plus petit que ses semblables. Il est si petit qu’il touche à peine le sol. Aussi, à chaque fois qu’il rentre du boulot, il se marche dessus et, le plus souvent, il meurt. C’est pourquoi on n’en voit jamais.

Indescriptible sept nains et bougre d’Empédocle en somme !

 


« Tant va la vache à lait qu’à la fin Creutzfeld-Jacob »

Fait divers

Des vaches folles tapies dans les pruniers se seraient subitement jetées sur des femmes de fermiers venues ramasser les prunes dans les prés quelques mètres plus bas. Les pauvres seraient mortes sur le coup, les reins brisés, sous les éclats de rire méphistophéliques des quelques vaches restées à l’affût dans les branchages.

Une drôle d'affaire en somme.

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