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COMMENT
ET QUAND EST-CE QU'ON DOIT
DIRE |
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A
yeudèbe |
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Shréwéguéti
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Sous
leffet conjugué de la crise lainière, du phylloxera
et de la révolution industrielle, lhomme nest plus
tout à fait le même.
Je veux parler de lhomme de Nijon (pas de Dijon, de Nijon !), le
pleurésien du sud, celui qui se terre aux confins de son jardin
depuis des temps fastidieux. Celui qui porte un chandail à grosses
côtes pour aller planter des poireaux. Le conquérant des
zones crayeuses du crétacé supérieur, lhomme
humide et rude qui a glissé dans un repli du temps. Au sud du bois
de Mouzon.
Autrement dit, pour les pleurésiens du sud les choses ne sont plus
tout à fait les mêmes. Elles semblent se répéter
inlassablement comme si, sous un effet pervers du phylloxera, les saisons
sétaient figées pour léternité.
Dans le froid et la tourmente. Aujourdhui, ils ont les plus grandes
peines à affronter les rigueurs dun hiver perpétuel.
Même avec le chandail. Ils ont perdu la mémoire du temps.
Ils se comportent maintenant comme si la semaine navait plus quun
seul jour : le jeudi, quil prononce yeudèbe pour simplifier, bien que pour eux rien ne soit plus jamais simple.
Ainsi, dans leur esprit frigorifié et rabougri, le calendrier se
limite à un seul jour, même si temps se déroule, comme
pour nous, de façon linéaire. La semaine par exemple, part
dun point du passé pour aboutir à un autre point de
lavenir. Elle commence le lundi et se termine le dimanche, mais
ils ne le savent pas. Pour eux, on est toujours jeudi. Ils sont incapables
de se représenter les autres jours, encore moins de les nommer.
Je ne sais ce quils auraient pensé du lundi 12, du vendredi
Saint ou du mardi en huit.
Ils savent pourtant se repérer dans le temps. Ils nignorent
pas que la veille précède aujourdhui et que demain
sera un autre jour. Ils font même la différence entre hier,
tout à lheure, dans dix minutes ou dans huit mois, mais ils
ne savent pas quand exactement. Ils nont quune vague notion
de durée. Pour eux cest encore jeudi.
Ainsi, quand ils quittent un ami quils espèrent revoir dans
dix minutes, le lendemain, le mardi suivant ou un autre jour, ils disent À yeudèbe ! Et si, par
exemple, ils doivent se revoir un mercredi, un des deux vient le mercredi
comme convenu, mais lautre, croyant que cest jeudi, ne vient
pas ou il arrive avec un jour de retard. Ou linverse : cest
le premier qui vient effectivement le jeudi alors que lautre attend
également ce jour-là, mais de la semaine suivante. Le raisonnement
peut paraître fallacieux, mais ils se ratent systématiquement
et ne se rencontrent pratiquement jamais. De plus, ils passent le plus
clair de leur journée à remettre au jeudi ce quils
peuvent faire le lendemain. Cest pourquoi ils traversent la majeure
partie de leur existence isolés, repliés sur eux-mêmes
(ou sur un monticule) à beugler à la cantonade comme des
sapajous abasourdis à la masse.
Pour finir, je dirais, à leur corps défendant, quil
est artificiel (mais commode) de diviser le temps en périodes égales
et de distinguer chaque jour de la semaine, quand on sait que dans la
mémoire de Dieu cette notion nexiste pas. Il ny a ni
passé, ni présent, ni avenir ; il y a seulement léternité.
Et cette année, cest parfait, ça tombe un yeudèbe.
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